Comment j'ai construit mon Dune Buggy (l'Auto Journal, 23.10.1969)
100 heures, 15 mètres de soudure, 200 rivets et deux pansements... pour métamorphoser une "Coccinelle"
Le dune-buggy, vous connaissez ? C' est une drôle de voiture ; elle est née le jour où la première VW fut accidentée en Californie. Cela remonte à cinq ou six ans. Depuis, les buggies sont plus de dix mille. Une cinquantaine de producteurs les proposent sur le marché, dans le sillage d'un nommé B.F. Meyers qui fut le premier à entrevoir les possibilités d'une branche d'industrie nouvelle. La contagion a gagné l'Europe, puisque, après deux constructeurs britanniques et un allemand, une société française s'est récemment créée pour produire et mettre en vente ces voitures qu'on peut qualifier d'un peu spéciales : en gros, c'est une carrosserie en polyester boulonnée sur un châssis VW tout d'abord raccourci de 40 centimètres. Voyez plutôt...
... la délicate opération qui fait d'une placide Volkswagen un impétueux "dune-buggy"
Un dune-buggy, signalons-le à ceux qui ne sont pas encore initiés, c'est un machine tous terrains destiné à passer partout (à travers dunes, entre autres). La société G.P. Beach Buggy propose trois formules de vente :
- Le kit à 2 300 F taxes comprises, Pour ce prix, vous avez en vrac la carrosserie, le tableau de bord et son ossature, le pare-brise et un manuel de montage ;
- Le demi kit à 3000 F taxes comprises, qui comporte le même lot, plus un châssis VW raccourci ;
- Enfin, la voiture toute montée et équipée, pour 7500 F (en éléments d'occasion), ou à 9900 F (en éléments neufs).
Nous avons choisi la première formule, qui s'adapte mieux au budget d'un jeune. Et nous nous sommes mis en quête aussitôt des éléments Volkswagen nécessaires : châssis et ensemble propulseurs postérieurs à 1961 (pour récupérer le nouveau réservoir d'essence).
Après avoir écumé tous les casseurs de Normandie et de la région parisienne, il fallut bien se rendre à l'évidence : la pièce VW d'occasion est plus malaisée à trouver dans un pays qui achète 15 000 voitures par an de ce type que dans un pays qui, dans la même période en achète 600 000. Le temps pressant, tant pis, nous dénichons pour 3000 F une VW 1500 à la carrosserie fatiguée.
Le temps de charger sur le toit d'une autre voiture la carcasse en question, de boucler une trousse à outils complète (plus pince à rivets Pop), de louer un poste de soudure à l'arc et une super meuleuse, nous partons un beau matin pour la Normandie, où un tonton compréhensif nous a promis un hangar pour y enfanter notre monstre. Sitôt arrivée, l'équipe - qui se composera tantôt de deux, tantôt de trois personnes - se met au travail.
Kafka dans toute sa splendeur. La coccinelle est encore dans son cocon, prête à sa métamorphose prochaine. C'est la première confrontation entre le tortionnaire et la bête. Voici le début du corps à corps. L'animal se débat dans ses derniers soubresauts. Combat sans espoir, L'homme sera le plus fort et les sursauts désespérés n'y pourront rien changer.Récupérer les plaques (immatriculation, constructeur, importateur), puis les sièges, la batterie, le réservoir et la colonne de direction ; jeux d'enfant.
Au tour des installations électriques... Avant d'aller plus avant, notez qu'il convient de marquer le moindre petit fil déconnecté et d'établir le plan du moindre petit appareil. Cela vous évitera de tester chaque bout de fil à la lampe de poche.
Maintenant, après avoir, bien entendu, retiré les tapis de sol et les garnitures, vous débranchez tous les fils afférents au moteur (préalablement marqués !) et sortez le faisceau par l'intérieur de l'habitacle prés du régulateur. Il s'agit maintenant de déconnecter toute la partie avant et de s'attaquer à l'électricité du tableau de bord. On met tous les cadrans de côté et l'on sort le faisceau de fils (préalablement entouré de chatterton pour ne rien perdre).
Il ne reste plus qu'à déposer le réservoir de liquide à freins et, dans la foulée, commencer le démontage de la carrosserie. Ne pas oublier de débrancher la barre antiroulis. La coque de la VW étant colossalement pesante, rameuter une main-d'oeuvre supplémentaire pour effectuer la séparation.
A ce stade, après trois heures trente de travail, on se trouve devant trois morceaux : l'ancienne carrosserie, le châssis et la nouvelle coque. Tout s'est bien passé jusqu'ici, Le lendemain dimanche promet d'être rude avec le découpage du châssis ; mais c'est gonflés de la certitude de procéder aux premiers essais du buggy d'ici trois jours francs que nous allons nous coucher.
Des l'aube, un brin de toilette au gas oil pour le moteur et le châssis. On dégarnit le châssis, on dépose les deux trappes de visite de la poutre, le tube du lockheed, le levier de vitesses. Pour sortir la tringlerie une petite main féminine est d'un précieux secours.
Lasse et vaincue, elle repose, écroulée sur la terre battue du hangar comme le corps d'une baleine échouée. On distingue l'épine dorsale à vif, le squelette amputé, des débris divers. La patiente allongée sur le flanc, on procède aux dernières opérations d'asepsie (au gas oil). Il s'agit de préparer un champ opératoire vraiment net pour les opérations de greffes.Et l'on arrive au découpage du châssis. On trace à la craie, juste derrière les glissières de sièges, une ligne perpendiculaire à l'axe de la poutre, puis une autre, parallèle et distante de 40 cm vers l'arrière. Prendre garde que la super meuleuse n'est pas un instrument précis : prévoir une marge d'un centimètre environ pour fignoler ensuite les jointures.
Commencer par décalotter la poutre en prenant garde à ne pas abîmer les gaines de câbles qui se trouvent à l'intérieur et les couper par la trappe arrière le plus prés possible du moteur, puis finir le découpage de la poutre et des planchers.
Le couteau du sacrificateur plonge dans le flanc de l'insecte affaissé. Les entrailles apparaissent à nu. C'est une hémorragie de graisse noire et un amoncellement de pièces détachées.Dès lors, tout est consommé. Avec un peu d'angoisse, on contemple les deux tronçons en s'avouant que, tout compte fait, avec 700 F de plus, on aurait pu choisir le kit n° 2...
Au travail ! On rectifie les centimètres laissés par sécurité. On met le châssis en position pour vérifier l'alignement de la poutre. (Si ça ne tombe pas bien d'équerre, refaire le trait avec une ficelle enduite de craie que l'on pince et qu'on lâche sur le tracé.)
Nous fixons sur les côtés du châssis deux équerres métalliques du genre employé pour les rayonnages de casiers. Tout est bien dans l'axe : nous pointons à l'arc et, le lendemain, nous soudons définitivement la poutre. Après avoir amputé le plancher arrière d'un bon morceau, nous le pointons à l'autogène grâce à un chalumeau emprunté sur place.
Mais notre buggy est vraiment destiné à tous les terrains : nous jugeons plus sage de souder un fourreau supplémentaire autour du premier raccord de la poutre. Sa constitution, son ajustage et son soudage nous demandent presque toute la journée du mardi et nous terminons la soirée en arrangeant les guides de câbles par la trappe arrière, en raccourcissant les commandes à l'aide de serre-câbles et en refixant le tube du lockheed.
L'opération se poursuit maintenant dans le désordre et dans le calme. Le champ opératoire est largement dégagé. Encore quelques points de suture : il n'y paraîtra presque plus.Nous n'avons pas rencontré jusqu'ici de problème majeur. Le mercredi, pour accentuer la rigidité de l'ensemble et, accessoirement, pour dissimuler la soudure du plancher, nous reconstituons en tôle de faux planchers externe et interne, que nous rivetons en prenant l'ancien en sandwich. Cette longue opération terminée, un coup de peinture sur les parties touchées.
Le lendemain est consacré à raccourcir la tringlerie de vitesses, à la remettre dans la poutre et à refermer les trappes de visite. Toutes ces petites opérations de réglage n'ont l'air de rien, mais elles demandent un temps fou et un moral d'acier..,
Renouvellement de l'enveloppe externe. Une mue totale va remplacer la carcasse de tôle par des élytres en plastique. C'est la régénération finale, celle qui va précéder l'éclosion.Vendredi, le poids de la nouvelle carrosserie : 45 kg contre 400 à l'ancienne, nous oblige à régler les barres de torsion. Là, il faut bien avouer que nous avons la main un peu lourde : à notre premier essai, la voiture touche vraiment par terre! Enfin, voici l'instant capital : nous posons la coque sur le châssis, nous traçons les trous et les perçons.
Le monstre prenait enfin un aspect... presque définitif. Dans la grange, la vue de ce prototype inachevé, rasant le sol, nous regonfla d'espoir et de courage.
Maintenant, nous boulonnons la coque en commençant par l'arrière et en revenant vers l'avant.
Et clac ! Malgré toutes nos précautions (parole ! nous ne vissions pas, nous caressions littéralement les boulons avec une clé de 13 !), la bordure de la caisse éclate en quatre points avec des craquements secs. Nous voilà contraints de comprimer la coque avec des serre-joints pour l'appliquer à nouveau sur le longeron arrière.
Vraisemblablement, le constructeur n'avait pas le tour de main pour appliquer les couches de rovings et de gel coat constituant l'enveloppe, et qui s'en allaient par plaques dés qu'on l'effleurait : De fait, le G.P. Beach Buggy devait confesser ses erreurs, en nous indiquant qu'il a refait son moule et qu'il garantit la solidité de ses nouvelles coques. De toute façon, il est conseillé d'interposer un plat d'aluminium entre les boulons et la bordure pour répartir les efforts de serrage.
Une nuit réparatrice par là-dessus et, le samedi matin, nous fixons les accessoires extérieurs. Après avoir réglé le boîtier de direction, nous installons la colonne, puis le réservoir d'essence, puis le tableau de bord, malgré sa résistance obstinée. Nous le dotons d'une nouvelle armature métallique établie par nos soins. Une fois mis en place, nous prenons bien soin, avant de monter les instruments de bord, de vérifier que rien ne vienne bloquer le mouvement des cames des essuie-glace. Tout va bien ? Bon ! Nous fixons l'ensemble à l'aide de rivets Pop et boulonnons définitivement le pare-brise.
Derniéres interventions avant mutation du monstre : le spécialiste procède aux nouvelles connections du système nerveux, en suivant bien les schémas dressés lors de la dissection.Le dimanche est consacré à la finition et à l'électricité. Il ne s'agit pas d'omettre de refaire une masse pour chaque instrument électrique (car la conductibilité du polyester s'avère obstinément nulle). Nous montons les phares, non fournis dans le kit et non récupérables sur la VW. Derniers réglages, et l'on met le contact...
A notre grande surprise, tout marche bien et tourne rond. On procède aussitôt à un essai dans un champ voisin. C'est à ce moment que nous nous avisons n'avoir oublié qu'une seule chose : remettre les sièges ! On y procède fiévreusement. Et c'est pour s'apercevoir, une fois posés non sans mal, qu'ils interdisent absolument tout mouvement des membres postérieurs. Et c'est donc nanti d'un siège de 4 CV, beaucoup plus bas et plus étroit, que notre buggy fait ses premiers tours de piste !
Intervention terminée. Et réussie.
La bête sort insensiblement du coma et prend conscience d'elle-même.
Déjà elle aspire à se gaver de sable, d'essence, de pétarades et de verdure.S'il faut tirer une morale de cette histoire, nous dirons que la construction d'un buggy est conditionnée par plusieurs facteurs. Il faut de la place, bien entendu. Et il faut du temps. A deux ou trois personnes, plus de cent heures de travail ont été nécessaires pour mener à bien l'opération, ce qui représente bien quatre ou cinq fins de semaines. Encore notre buggy n'a-t-il pas pris son aspect définitif : il lui manque jantes larges, arceaux, sièges... En outre, s'il est possible de louer un matériel important tel que le poste de soudure et la super meuleuse, il est absolument nécessaire de posséder certaines compétences avant l'achat du premier kit. Car la découpe et la soudure du châssis sont des opérations délicates. La notice de montage est d'ailleurs assez pauvre en explications et, de surcroît, d'un optimisme délirant, du style : "Soudez le châssis" et toc..., sans aucune autre précision.
Le budget, maintenant. Il peut varier de 3000 F à... beaucoup plus, selon les goûts et les circonstances. C'est ainsi que, pressés par le temps, nous avons préféré acheter directement une VW d'occasion encore utilisable. Il n'en reste pas moins que les pièces d'occasion de la marque sont rares en France. Quant aux moteurs 1300 et 1500, qui sont intéressants pour leur capacité ultérieure de gonflage, ils sont littéralement introuvables.
Et puis, il faut bien se dire que la ligne de votre engin tout neuf rend quasiment obligatoire jantes larges, arceau, baquets et capote...
Pour finir, il vous faudra compter encore... mais, cette fois, avec les délicates formalités administratives d'homologation par le service des Mines et d'immatriculation par la préfecture.
Richard Vergnot
Budget
Achat VW 67 1500 occasion 3 000 F Matériel divers
Achat kit n°1 2 300 F boulons, rondelles, cosses, fils et rivets 20 F
Location outils huiles, gas-oil 30 F
super meuleuse 30 F peinture, noir à châssis 40 F
soudure 74,50 F plats d'aluminium 20 F
Total 5 594,50 F